Les nouvelles Routes de la soie : l’Afrique au cœur de la stratégie de puissance de la Chine

5 Fév 2018
INTELLIGENCES AFRIQUES
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La montée en puissance ininterrompue de la Chine dans cette deuxième moitié du XXe siècle la rapproche de plus en plus du rêve empirique de la plus vieille civilisation au monde : rétablir la grandeur perdue de « l’empire du Milieu ». Devenue première force commerciale devant les États-Unis en 2013, son objectif est d’accroître son influence sur l’échiquier mondial des relations internationales en développant une véritable stratégie globale de puissance autour de nombreux autres axes : diplomatiques, militaires, scientifiques, techniques, spatiaux…

C’est avant tout en prônant la multi-polarisation du monde que la Chine cherche à renverser l’ordre mondial post-guerre froide instauré depuis 1945 par son principal compétiteur et adversaire, les États-Unis. Pour accroître sa visibilité sur la scène ­internationale, celle-ci a officialisé en 2007 lors du XVIIe Congrès du Parti communiste chinois (PCC), sa stratégie de « soft Power » ou de « coexistence pacifique » principalement à l’adresse des pays du Sud par opposition à l’impérialisme américain.

Le pragmatisme chinois, parfaitement incarné par son leader Xi Jinping, exploite son principal atout, sa formidable puissance économique. Son positionnement tiers-mondiste lui permet de gagner du terrain en Asie du Sud-est, en Amérique latine, au Moyen-Orient et surtout en Afrique avec qui les relations connaissent une croissance exponentielle depuis 1955 (conférence de Bandung). Le livre blanc sur la politique africaine de la Chine publié par le gouvernement chinois en janvier 2006 précise que « la Chine oeuvre à établir et développer un nouveau type de partenariat stratégique marqué par l’égalité et la confiance mutuelle sur le plan politique, la coopération dans un esprit gagnant-gagnant ».

Le basculement expansionniste de la politique étrangère de la Chine

Dans les faits, la Chine a suffisamment assis sa position de superpuissance pour entrer dans une ère beaucoup plus offensive. Après avoir repris le Tibet, Macao, Hong-kong et isolé Taiwan diplomatiquement, sa principale priorité est de redevenir maîtresse de son pré carré asiatique encore sous contrôle de la puissance navale américaine. Ainsi, selon sa doctrine dite de « la ligne des neuf traits », la Chine revendique sa souveraineté sur 80 % à 90 % de la mer de Chine méridionale et engage des travaux de dragage et de remblaiement pour créer des îles artificielles sur lesquelles elle a entamé la construction de ports, de pistes d’atterrissage et d’infrastructures militaires. Pour soutenir son acquisition territoriale, la Chine a besoin des voix des pays africains à l’ONU qui représentent un tiers de ses alliés potentiels. Huit pays assument d’ores et déjà ouvertement leurs soutiens : le Niger, la Mauritanie, la Gambie, le Kenya, le Togo, la Gambie, le Burundi et le Lesotho.

Mais les visées expansionnistes de la Chine ne se limitent pas à l’Asie. La force actuelle du pays continent, c’est la continuité et la stabilité de son régime politique qui lui permettent de développer une vision stratégique projective à très long terme, ce dont les régimes politiques occidentaux ne sont plus capables avec le renouvellement continuel de leur exécutif. Lors du XIXe Congrès du Parti communiste en 2017, Xi Jinping a fixé jusqu’en 2050 les diverses phases de transformations à mener afin de hisser la Chine au « premier rang du monde en termes de puissance globale et de rayonnement international ».

Le projet des « nouvelles routes de la soie » ou « One belt one road (OBOR) » lancé en 2013 est un symbole majeur de ses ambitions internationales. Il prévoit ainsi le développement de deux axes de commerces majeurs, l’un terrestre et ferroviaire traversant l’Asie et l’Europe, l’autre maritime passant par les ports d’Asie du Sud, du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Europe. Conçu comme une tentative de recréer les routes commerciales historiques reliant la Chine au monde, ce projet pharaonique version port, autoroute, chemin de fer et porte-conteneurs n’a ni plus ni moins pour ambition que de redessiner l’ordre international du XXI siècle. Comprenant un plan d’investissement de près de 1.000 milliards de dollars, la route commerciale devrait couvrir à terme près de 60 % de la population mondiale et jusqu’à 40 % du PIB mondial. La Chine utilise l’initiative OBOR comme une opportunité pour se positionner diplomatiquement sur la scène mondiale. C’est ce qui est ressorti clairement lors du sommet de la nouvelle route de la soie en 2017 auquel plus de 50 pays ont participé ainsi que des représentants des Nations Unies, du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. La Chine a déjà passé plus de 270 pactes de coopération avec des pays partenaires tout le long de l’itinéraire.

route de la soie

SOURCE: MERCATOR INSTITUTE FOR CHINA STUDIES; PRICEWATERHOUSECOOPERS

Quelle place tient l’Afrique dans le grand plan de la Chine ?

L’Afrique, qui est considérée comme le futur de la croissance mondiale, demeure l’acteur privilégié de la diplomatie et de l’économie chinoise à l’image de son canal de coopération privilégié, le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) organisé tous les 3 ans depuis les années 2000. C’est également ce qu’illustre la tradition diplomatique chinoise qui veut que ses ministres des Affaires étrangères choisissent l’Afrique comme destination pour leurs premières visites à l’étranger.

Les nouvelles routes de la soie, trop souvent considérées à tort comme une initiative de réseau d’infrastructure eurasienne, seraient à même de donner un essor considérable à la ChineAfrique, réalité déjà incontournable puisque la Chine est d’ores et déjà le premier investisseur étranger sur le continent depuis 2016. Pour l’instant, les cartes du projet montrent essentiellement des programmes d’investissement sur le littoral Est-africain notamment au Kenya, à Djibouti et en Égypte. La Chine reste fidèle à son modèle de développement qui perdure en Afrique depuis le début du siècle. Elle prend contrôle de l’exploitation des très nombreuses richesses en matières premières du continent noir, essentiellement le pétrole et les minerais en échange de dotations infrastructurelles : routes, voies ferrées, parcs industriels, infrastructures énergétiques… Aujourd’hui,  le gouvernement chinois mandate des entreprises publiques soutenues par la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII) (Alternative chinoise de la Banque Mondiale) créé en 2015 dans le cadre du projet OBOR.

L’Afrique de l’EST, centre géostratégique de la route maritime

L’essor de l’Afrique de l’Est en tant que centre logistique de la volée maritime de la route de la soie n’est pas surprenant si on considère sa proximité géographique avec le Moyen-Orient et l’Europe. De plus, la découverte récente de gisements de pétrole et de gaz autour de la Côte Est africaine signifie que le modèle d’extraction des ressources de la Chine en Afrique sera certainement renforcé une fois les routes OBOR mises en place. À Djibouti, la construction du port géant de Doraleh, mais surtout l’ouverture de la première base militaire extérieure de l’armée de libération populaire (en 2017) sont autant de signes du développement d’une stratégie globale de la Chine sur le Continent africain. Cette implantation militaire à l’entrée du détroit de Bab el-Mandeb permet à la Chine de sécuriser le volet maritime du projet OBOR, notamment ses importations en hydrocarbure qui demeurent sa principale problématique en termes de dépendance stratégique. Ainsi le détroit de Bab el-Mandeb est  doublement tactique vu qu’il est le quatrième couloir maritime mondial en termes d’approvisionnement énergétique mais également un passage obligatoire vers le corridor du Canal de Suez pour lequel la Chine est aujourd’hui le principal investisseur.

La transformation et la connectivité de l’espace africain au service des projets Chinois

Mais avec l’essor du volet maritime des routes de la soie, la Chine ne se contente plus seulement d’investir dans les infrastructures locales, elle cherche également à développer des corridors de transports intermodaux pour relier et intégrer les différents territoires et États africains. Ceux-ci ont déjà démarré à l’instar de la ligne du chemin de fer chinois au Kenya, le Standard Gauge Railway (SGR) reliant Mombasa, le plus grand port d’Afrique de l’Est, à Nairobi la capitale. Une fois achevé, l’ensemble du réseau reliera la République démocratique du Congo, l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi, le Soudan du Sud et l’Éthiopie. Ceci tente à démontrer que la route maritime du projet gigantesque de la Chine ne se contentera pas simplement de la Côte Est de l’Afrique. A terme, on peut imaginer que les côtes de l’Afrique du Nord, Centrale et Occidentale devraient elles aussi être incluses dans la nouvelle route comme le montre le récent accord passé entre le Maroc et la Chine. Le nouveau corridor qui remonte du golfe de Guinée jusqu’au port de Tanger au Maroc intéresse tout autant Pékin, car il est déjà une composante essentielle du commerce sino-africain.

Ainsi, il y a fort à penser que la Chine envisage d’ores et déjà de relier les ports de l’Afrique de l’Est à ceux de l’Afrique de l’Ouest par voie de chemin de fer. Ce réseau, s’il vient à être achevé, serait historiquement sans précédent puisqu’il relierait l’océan Indien à l’océan Atlantique. La Chine a déjà exprimé sa volonté de connecter les centres régionaux les uns aux autres lorsqu’elle a apporté son soutien au plan de développement interne de l’Afrique tel qu’il est énoncé dans l’Agenda de l’UA 2063. Il existe des synergies claires entre le projet Chine Afrique que l’on connaît déjà depuis une cinquantaine d’années et cette nouvelle initiative qui favorise une plus grande connectivité entre les pays du contient Africain et le pays-contient chinois.

La projection de puissance de la Chine sur le Continent Africain

Pour le moment la majorité des États africains semblaient plutôt favorables à la stratégie dite « gagnant-gagnant » de Pékin à leurs adresses même si beaucoup refusent d’ouvrir les yeux sur sa véritable contrepartie. C’est une évidence que la Chine ne se contente pas de « donner » des infrastructures ou d’annuler les dettes des pays africains. Derrière le « soft power » apparent de sa politique africaine, la Chine mène une véritable politique offensive et territoriale sur l’Afrique comme le démontre sa politique expansionniste de rachat des terres agricoles. Dans la même idée, Shangai exerce une veritable opération de propagande auprès des médias africains afin de diffuser « le rêve chinois » à l’exemple de son groupe audiovisuel  StarTimes qui cherche à s’assurer le monopole de la TNT en Afrique. Le groupe est déjà présent dans déjà 18 pays du continent avec une trentaine de chaînes en propre et plus de 30 000 heures de programmes. Il en est de même avec  RCI (Radio Chine Internationale) qui a créé la première structure de diffusions FM en Afrique en janvier 2006. L’exemple le plus marquant de la réalité des intentions chinoises demeure l’affaire d’espionnage concernant les bâtiments de l’Union africaine. Le financement et la construction ont été « offerts » par la Chine en 2012, mais on vient de découvrir que l’intégralité du contenu de ses serveurs était transférée directement au PCC (Partie communiste chinois) pendant ces cinq dernières années. C’est pourquoi les états et les dirigeants africains devraient s’interroger sérieusement sur le prix réelle à payer pour les dons chinois ainsi que leurs IDE (investissement direct à l’étranger) si convoités.

Ce que l’on peut déjà affirmer de façon certaine c’est que  pour la Chine, la nouvelle route de la soie, bien au-delà de créer une demande durable pour leurs produits et de renforcer leur stratégie d’extraction des ressources, est avant tout, une véritable mise en œuvre des capacités de projections de puissance de la Chine. Elle vise à transformer l’espace africain au mieux de ses intérêts. Dans un contexte géopolitique ou le déclin des États-Unis semble déjà bien amorcé, on peut craindre que le déséquilibre du rapport de force entre la Chine et l’Afrique ne fasse que s’accentuer par la suite tandis que la Chine semble continuer son irrésistible ascension vers le rang de première puissance mondiale.

Louis-Marie Bernard de Courville, Rédacteur Portail africain de l’intelligence économique

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