Les dessous de la diplomatie économique marocaine en Afrique

21 Juil 2017
Ali MOUTAIB
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Espace économique imposant graduellement son poids dans l’économie mondiale, le continent africain est devenu ces dernières années le terrain de développement privilégié du Maroc jusqu’à l’ériger comme pivot de sa diplomatie et de son économie. Gouvernance, diplomatie religieuse et sécuritaire, échanges économiques, culturels et institutionnels, le Royaume ne lésine sur aucun moyen pour défendre une nouvelle vision panafricaine dont il se veut l’un des moteurs déterminants. Retour sur les coulisses de la nouvelle stratégie diplomatique marocaine alliant soft-power et pragmatisme politique.

L’année 2016 aura été marquée par une offensive diplomatique sans précèdent de la part de l’État marocain sur le continent africain se soldant par un retour en grande pompe au sein de l’Union Africaine. Accompagné d’une délégation d’hommes d’affaires et de ministres, le Roi Mohammed VI a sillonné continuellement le continent ; rencontrant chefs d’Etat et proposant projets d’investissements,  partenariats culturels et économiques « gagnant-gagnant » une nouvelle vision stratégique pour le continent.

Axe transsaharien historique et plateforme commerciale entre l’Afrique et l’Europe, le Royaume Chérifien était plutôt coutumier des échanges avec les pays partenaires d’Afrique de l’Ouest comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire.

Il est donc frappant d’observer la particularité du nouveau périple enclenché en septembre 2016 par la machine étatique marocaine. Le Maroc s’éloigne en effet de sa zone de confort géopolitique traditionnelle en s’ouvrant sur de nouveaux partenaires comme le Rwanda et la Tanzanie, tous deux se situant près de la Corne de l’Afrique, l’une des zones les plus dynamiques du continent (6% de croissance en moyenne chaque année). Le déplacement au Nigéria, plus grand marché d’Afrique anglophone, illustre aussi cette volonté d’ouverture de la diplomatie marocaine. Cette visite s’est soldée par ailleurs, par la signature d’un projet pharaonique de gazoduc traversant la côte atlantique et alimentant en gaz naturel 6 pays d’Afrique de l’Ouest, jusqu’au territoire marocain et le continent européen par la suite. Ce mégaprojet, estimé à hauteur de 25 milliards de dollars, illustre à lui seul cette volonté de projection de puissance du Royaume sur le continent en gardant pour principe immuable la coopération Sud-Sud entre chaque État.

Derrière cette nouvelle approche offensive de la diplomatie chérifienne, se cachent en réalité différents enjeux stratégiques pour le Royaume dont le principal est son retour au sein de l’Union Africaine.

L’influence croissante des instances institutionnelles du continent

Après avoir quitté avec fracas l’organisation panafricaine en 1984 à cause de l’admission en son sein de l’organisation séparatiste revendiquant le contrôle de ses territoires sahariens, le Royaume avait décidé de se tourner principalement vers ses partenaires européens et moyen-orientaux, sans pour autant négliger les pays africains.

Néanmoins, les rapports de forces géostratégiques ont depuis évolué en Afrique et ont poussé le Royaume à recentrer sa diplomatie économique vers le continent. Se basant pour cela sur les secteurs porteurs de son économie, à savoir le BTP, le secteur Banques/Assurances et plus récemment l’industrie des énergies renouvelables.

Pas moins de 40 déplacements ont été effectués par le Roi du Maroc en personne sur le continent depuis 2001. Il faut dire que le dynamisme économique, l’émergence de nouveaux « lions africains » comme le Nigéria ou l’Ethiopie, l’évolution de la situation sécuritaire sur le continent ainsi que l’influence grandissante des instances continentales ont poussé le Maroc à orienter sa stratégie vers ses racines africaines millénaires en consolidant ses partenariats et en entérinant des accords avec de nouveaux alliés.

L’objectif annoncé en 2016 par le Royaume de rejoindre l’Union Africaine traduit le parachèvement de cette nouvelle stratégie diplomatique. Se réclamant d’une politique pragmatique visant à développer et à asseoir un accroissement de puissance pour le continent, le Maroc se devait de finaliser son retour au sein des instances de l’Union Africaine au moment où l’organisation ne cache plus sa volonté d’inscrire plus encore son influence au niveau international. Celle-ci mettant sur la table le projet de création d’une zone de libre échange continentale (ZLEC, Africain continental free-trade area) ainsi que la volonté de détenir un siège de membre permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU.

Appétit des puissances internationales

La volonté de s’inscrire dans cette vision cohésive démontre aussi l’ambition affichée de faire face aux défis liés à la mondialisation et aux rapports de force induits par celles-ci.

Territoire jeune, doté de ressources humaines et naturelles considérables, le continent impose progressivement son poids dans les échanges économiques mondiaux et représente aujourd’hui un marché incontournable dans un monde en proie à de multiples incertitudes.

L’Afrique est donc le terrain privilégié d’affrontements économiques entre puissances depuis plusieurs années. Après avoir été longtemps la cible de l’implantation des intérêts économiques chinois, son rival géopolitique japonais annonce l’investissement de 30 milliards de dollars en Afrique avec la volonté affichée de s’installer durablement sur le continent et de concurrencer son voisin chinois sur son terrain de prédilection.

Déployant une impressionnante machine de conquête économique, la Turquie avec ses entreprises de BTP, de textile et d’énergie, ne cache plus son ambition africaine en signant des accords de coopération avec pas moins de 40 pays d’Afrique et en affirmant sa volonté de s’appuyer sur le continent pour atteindre ses objectifs d’entrée dans le top 10 des puissances économiques mondiales.

Face à l’offensive de ces puissances en plus des acteurs traditionnels issus de l’Union Européenne et des États-Unis, le Royaume a adopté une nouvelle doctrine diplomatique mêlant influence et actions opérationnelles qui se veulent réalistes et constructives.

« L’Afrique est un grand continent, par ses forces vives, ses ressources et ses potentialités. Elle doit se prendre en charge, ce n’est plus un continent colonisé. C’est pourquoi l’Afrique doit faire confiance à l’Afrique ». Cette citation du Roi prononcée lors d’un discours à Abidjan, est devenue le nouveau leitmotiv de la structure diplomatique marocaine qui décline de manière opérationnelle cette formule sur le terrain en développant la coopération bilatérale avec ses voisins africains, les échanges universitaires entre étudiants, la volonté de développement de projets économiques créateurs d’emplois locaux ainsi que la prise en main au niveau sécuritaire de chaque pays.

Fustigeant un néo-libéralisme exploitant uniquement les ressources du continent sans contrepartie de développement économique et humain, le Royaume se veut être le fer de lance d’une Afrique émergente et pragmatique s’appuyant sur une coopération Sud-Sud profitant à tous. Cette ligne stratégique s’avère payante et trouve écho auprès de nouveaux pays alliés comme le Rwanda dont le président est considéré comme un grand promoteur de la politique du renouveau du continent.

Compétition avec l’Afrique du Sud

Afin d’asseoir son ambition africaine, le Maroc doit faire face à un redoutable concurrent qui jouit d’une force de frappe économique impressionnante et mobilisant un quart du PIB du continent.

Implantées de manière historique en Afrique australe et en Afrique de l’Est, l’Afrique du Sud et ses entreprises voient d’un mauvais œil l’arrivée d’un concurrent désirant conquérir des parts de marché sur ses zones d’influence. Disposant de relais importants au niveau de l’Union Africaine, l’État sud-africain n’a pas manqué de mobiliser ses structures diplomatiques pour bloquer l’entrée du Maroc au sein de l’influente organisation panafricaine, tout en essayant de contenir sur le terrain politique l’offensive marocaine auprès de ses pays alliés.

De son côté l’État marocain avance à visage découvert, ne cachant pas son désir de détrôner son adversaire sud-africain en tant que premier investisseur sur le continent. Ce qui est illustré par un passage du discours du chef de l’État marocain lors du 27ème sommet de l’Union Africaine à Kigali : « L’importante implication des opérateurs marocains et leur forte présence dans le domaine de la banque, des assurances, du transport aérien, des télécommunications et du logement, font que le Royaume est à l’heure actuelle le premier investisseur africain en Afrique de l’Ouest. Il est déjà le deuxième investisseur du Continent, mais pour peu de temps encore, avec sa volonté affichée de devenir le premier ».

Conscient de faire face à un poids lourd mondial, le Royaume a déployé son offensive en plusieurs étapes. La conception de sa stratégie tout d’abord, en adoptant sur le terrain l’adage de Sun Tzu : « Tout le succès d’une opération réside dans sa préparation ». Adoptant une posture discrète, s’appuyant sur ses relais économiques, diplomatiques et sécuritaires pour s’orienter vers un retour dans les instances de l’UA.

Le timing a été précisément choisi : outre le fait que l’année 2016 a été particulièrement éprouvante pour le continent au niveau sécuritaire et économique, le Royaume a choisi d’enclencher son offensive au moment où l’Afrique du Sud connaît un ralentissement économique majeur, principalement dans le secteur agricole et minier, une crise de chômage importante avec 27% de la population active qui est sans emploi, et de graves problèmes de corruption au niveau de l’exécutif [1].

Le moment était donc parfait pour amorcer son approche auprès des autres pays africains en mettant en valeur les atouts dont il dispose :

  • L’engagement fort du pays au niveau de la sécurité alimentaire sur le continent. Considéré comme l’un des leaders mondiaux dans l’industrie des phosphates et des engrais, l’OCP (Office Chérifienne des Phosphates), première entreprise du Royaume, a déployé une véritable stratégie de couverture continentale, en investissant dans différents projets d’infrastructures dont le plus emblématique est le lancement d’une usine géante de production d’engrais en Ethiopie, considérée comme le premier espace agricole du continent.
  • Son soft-power religieux. Face à la montée de la fièvre du radicalisme sur le continent, le Royaume s’est appuyé sur ses institutions religieuses historiques articulées autour d’un cadre islamique partagé avec la majeure partie du continent, à savoir l’école malékite [2] pour le droit islamique, la doctrine ash‘arite [3] pour la théologie et le soufisme d’Al Junaid pour la spiritualité. L’appui des confréries soufies [4] d’Afrique de l’Ouest ainsi que la politique de formation des imams africains ont permis d’un côté de lutter sur le terrain contre la montée du fanatisme et de l’autre de transformer l’influence religieuse du Royaume en atout diplomatique.

Les défis du continent

Le Royaume est néanmoins conscient qu’il devra non seulement capitaliser sur ses atouts et consolider son rôle au sein de l’Union Africaine, mais aussi porter, en compagnie des autres locomotives du continent, un leadership qui permettra à l’Afrique de réellement émerger et imposer sa présence dans les échanges économiques mondiaux. Car le continent est encore loin d’avoir atteint ses objectifs de développement, sans compter les nombreux défis auxquels il doit faire face comme la croissance démographique importante de sa population, l’augmentation des IDE qui reste relativement faible par rapport au volume mondial (3,7% seulement)[5] ainsi que le développement du commerce intra-africain.

Le 1 mars 2017 par Ali Moutaib

Source : Portail de l’IE


[1] Bernard Lugan, Eco Austral, Octobre 2016
[2] Le malékisme est l’une des quatre madhhab, écoles classiques du droit musulman sunnite
[3] École théologique de l’islam
[4] Désignation des ordres mystiques soufis dans l’islam
[5] Bernard Lugan, Eco Austral, Octobre 2016

L'Auteur

Ali MOUTAIB
Ali MOUTAIB
Responsable marketing produit, LEXSI

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